Le found footage est-il un genre vidéoludique?

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L’inénarrable fanatique de Resident Evil que je suis ne peut s’empêcher de goûter, de manière systématique, à tous les opus canoniques de la saga de Capcom. C’est pourquoi, au moment de l’annonce du septième volet à l’E3 2016, lorsqu’il a été proposé un teaser jouable dans la veine de P.T, votre humble serviteur était dans une joie notable. La dite démo consiste en la visite brève d’une maison délabrée où il ne fait plus bon vivre depuis quelques années. Si la démo en elle-même est assez intrigante, très scriptée, mais gorgée de petits secrets jouant sur ces scripts, une partie me semble assez intéressante pour ce qu’elle implique en terme de rapport à la diégèse du jeu et plus largement, du rapport du jeu vidéo à un sous-genre du cinéma d’horreur : le found footage

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Cette séquence de jeu s’active lorsque le joueur trouve, au gré de sa découverte de la maison, une cassette vidéo qu’il peut insérer dans un magnétoscope. Une fois cette action effectuée, le jeu ne nous montre pas une vidéo mais nous fait jouer le contenu de la VHS, l’œil dans la caméra l’ayant produit, avec tout ce que cela implique en terme d’effet de dégradation de l’image. Là où cela devient intéressant, c’est quand on se rend compte que d’une part, on peut quitter et relancer la séquence autant de fois qu’on le désire ; on peut donc changer le contenu de la vidéo à chaque fois puisque l’on ne reproduit pas exactement les mêmes mouvements à chaque fois que l’on joue la vidéo. Et d’une seconde part, on peut effectuer des actions dans la séquence vidéo qui ont des répercutions sur le « présent ». On peut notamment découvrir dans la vidéo un crochet qui permettra d’ouvrir un tiroir dans le passé, tiroir qui était fermé dans le « présent » avant que le joueur ne modifie son état dans la vidéo. Et si les développeurs ont assuré que le caractère quelque peu surnaturel de certains éléments de cette démo (en particulier la présence saugrenue d’un fantôme) trouverait une explication dans Resident Evil 7, ce qui peut laisser penser que la question de la VHS sera résolue, je suis assez intéressé par l’idée même d’essayer d’utiliser le found footage dans le jeu vidéo et d’analyser la quadrature du cercle que cela implique.

Le found footage (littéralement « séquence/métrage/enregistrement trouvé ») est souvent considéré au cinéma comme un sous-genre de l’horreur et de l’épouvante, quand bien même il a su intégrer d’autres genre cinématographique, puisqu’il s’agit plus d’une façon de filmer que d’un thème à proprement parler. L’idée du found footage c’est un peu l’idée d’intégrer le quatrième mur à la diégèse d’un film. Au lieu de ne jamais faire mention de la caméra, il y a quelqu’un dans le film qui la tient et le spectateur regarde le document produit par ce biais. L’intérêt principal, quelque soit le genre, est évidemment d’apporter une crédibilité, voire un réalisme supplémentaire à un film, ce qui amène par ailleurs au mockumentary. Mais pour le genre horreur, il me semble qu’il y a une qualité supplémentaire qui est non négligeable, à savoir un caractère faussement transgressif qui vient du doute sur la réalité du film. Le found footage dans le cinéma d’horreur, c’est un peu le snuff-movie sans danger. Sans danger pour les personnages du film (qui souffrent et meurent réellement dans le snuff-movie) et sans danger de poursuites pour le spectateur. Dans le même temps, le doute qui s’installe avec la suspension consentie d’incrédulité permet d’ajouter une couche d’incertitude. On le voit, avec des polémiques comme celles ayant entouré Cannibal Holocost lors de sa sortie ; plus la frontière est floue et les effets spéciaux invisibles, plus le malaise grandi. Et un malaise de cet ordre, c’est tout de même un avantage indiscutable pour l’horreur qui gagne en puissance à chaque fois que le spectateur se projette dans la situation.

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Michigan: Report From Hell se passe entièrement du point de vue d’un caméraman. Le but du jeu de Goichi Suda est à la fois de survivre et de capturer le maximum de scoop.

Si on parle de found footage dans le jeu vidéo, on pensera potentiellement à des titres comme le Outlast de Red Barrels ou les plus confidentiels Michigan : Report From Hell de Grasshoper Studios et Echo Nigh : Beyond de From Software. On pourra aussi penser désormais à cette séquence de la démo de Resident Evil 7 que je décrivais plus avant. En somme, on pensera assez naturellement à des jeux qui utilisent la caméra comme filtre de la réalité, ou plutôt des filtres de caméra comme représentation graphique de la réalité. Parce qu’à y réfléchir, un problème fondamental se pose pour le found footage vidéoludique quand on étudie de plus près ces jeux cités plus avant. Ce qui semble être des transpositions de ce genre cinématographique pose la question : « quand » et « où » est le joueur ?

Si il y a de quoi discuter pendant des heures de la place spatio-temporelle d’un spectateur par rapport à la diégèse d’un film classique, forcé de constater que cette place est très définie dans le found footage au cinéma. Déjà, le film dit que le spectateur est dans la diégèse, dans le même univers que le film, à savoir la réalité. C’est du moins sa prétention. Dans les faits, le film found footage cherche à faciliter l’entrée du spectateur dans sa diégèse en brisant le quatrième mur pour que le spectateur ne voit pas le film à travers ce mur, mais sans ce mur. Le spectateur est aussi et toujours après les événements, puisqu’il les regarde via un enregistrement vidéo dit « trouvé ». Sauf qu’en matière de jeu vidéo, tant qu’il y a interaction entre le joueur et le jeu, l’action est toujours au présent et le joueur est toujours derrière le filtre d’un avatar. Il interagit en permanence et écrit l’histoire.

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Dans Rec comme dans tout found footage, il est clair que l’on voit les événements après qu’ils se soient passés. On est après les faits.

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Dans Outlast, on filme l’action soi- même, quand on n’est pas simplement en vue à la première personne sans la caméra. On est au moment des faits.

Autre obstacle qu’il me semble important de soulever et qui découle de ces caractéristiques, c’est tout simplement la difficulté d’avoir une narration qui tire réellement partie de la spécificité du found footage, à savoir que la diégèse de l’œuvre est la réalité. Un found footage au cinéma a un avantage en terme de narration : le film et sa production sont, de manière quasi-automatique, part entière de l’histoire racontée et participent à alimenter la suspension consentie d’incrédulité. De The Blair Witch Project à Paranormal Activity, en passant par Noroi (je voulais le placer celui là) ou Cloverfield, le contexte de tournage est dans l’histoire. Le plus souvent, la question de comment le spectateur a reçu le film ou de comment il a été monté est éludée1. Mais la raison du tournage est toujours explicitée parce qu’elle est fondamentale pour accepter le prémisse qui se veut inscrit dans la réalité et qui donne sa particularité au genre. On ne sais pas forcément d’où vient le film, mais on sait pourquoi il a été fait ou au moins pourquoi il n’a pas été arrêté avant la fin.

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L’une des problématiques adressées au genre au cinéma est souvent celle de l’acte de filmer, en particulier en situation de vie ou de mort. La contextualisation de cet acte est assez crucial pour l’immersion du spectateur.

Dans le jeu vidéo, la question est plus complexe à traiter puisque ce qui est trouvé est un jeu qui ne peut pas parler de lui-même en tant qu’objet, en tout cas pas par son game design. La question de sa production n’est donc pas forcément incluse dans le jeu. De plus, si le jeu a une histoire en son sein, indépendante de l’histoire de sa fabrication, le joueur ne peut pas en faire partie directement, auquel cas, le jeu n’est plus un found footage, mais simplement un jeu où le joueur incarne un avatar ou participe à l’histoire du jeu en temps réel. Sauf que…

Sauf qu’il peut y avoir une part voire une majorité de jeu vidéo classique dans un found footage interactif. Le problème, c’est l’entrée dans le jeu qui doit se faire en connaissance de cause : dans la très grande majorité des cas, un film found footage sera un film found footage qu’il se dise comme tel ou pas ; la façon de filmer et d’interagir avec la caméra est suffisamment codée. Un jeu vidéo doit l’énoncer, sinon c’est simplement un jeu vidéo. Pour le dire de manière plus concrète, Assassin’s Creed est devenue une série found footage à partir d’Assassin’s Creed : Unity. Pour cela Ubisoft a du faire savoir au joueur qu’il n’était pas dans un jeu classique. Jusqu’à Unity, la saga donnait au joueur un avatar d’entrée qui était soit Desmond (de Assassin’s Creed à Assassin’s Creed III) soit un employé d’Abstergo (dans Assassin’s Creed : Black Flag). C’était par cet avatar que l’on entrait dans une seconde couche de narration, celle de l’ancêtre du personnage. Le joueur n’était pas amené à penser l’histoire du jeu comme inscrite dans sa réalité, mais comme inscrite dans celle de Desmond. Unity en revanche se présente comme un produit d’Abstergo du début à la fin. Au début du jeu, on a un menu de sélection de niveaux dans lequel n’est débloqué que la séquence d’introduction centré sur le point de vue d’un templier ; le jeu est jusque là un jeu classique. Une fois cette introduction effectuée, un personnage coupe le jeu et nous dit qu’il ne s’agit pas d’un jeu vidéo classique mais d’un jeu conçu par Abstergo dans le but de trouver un artefact particulier et de faire propagande pour les templiers. Le joueur est donc placé dans sa propre peau et le jeu se révèle comme un objet de la réalité dans lequel on se plonge pour résoudre une problématique de la réalité (en l’occurrence stopper un complot).

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Unity dit lui-même que c’est un jeu vidéo et qu’il a un but dans la diégèse qu’est la réalité. L’effet aurait pu être bien plus efficace en assumant complètement l’idée et en utilisant une cinématique « live action » pour cette séquence d’introduction du concept.

Si l’on prend tout cela en compte, des contraintes formelles aux contraintes narratives, on réalise l’ampleur de la tâche de faire un véritable found footage dans le jeu vidéo et en particulier un qui tire partie de la spécificité du found footage. Il peut sembler y avoir une sorte de contradiction formelle dans l’idée d’avoir un found footage interactif. Pourtant comme le montre l’exemple d’Assassin’s Creed : Unity et Syndicate qui certes n’utilisent finalement pas vraiment cet élément de manière déterminante, il y en a dans le jeu vidéo. Ce ne sont simplement pas les jeux qui reprennent l’esthétique des found footage filmiques. Ce sont plutôt les jeux que l’on pourrait qualifier de found games : ceux qui reprennent l’idée que l’objet vidéoludique est un objet de la réalité que le joueur se voit confier ou trouve après sa réalisation pour x ou y raison. Et de manière assez peu surprenante, ce sont encore les genres du frisson, les jeux d’horreur et autres thrillers qui se sont un peu penché sur la question.

Il y a les jeux creepy pasta. Je ne parle pas de jeux adaptés de creepy pasta, comme la série des SCP, mais bien de jeux qui sont en tant qu’objets des creepy pasta. On peut noter typiquement Sonic.exe dont je vous invite à lire l’histoire ici2. La particularité de ces jeux est la forme de narration choisie. Ici il n’y a pas d’avertissement dans le jeu sur sa fonction ou sa fabrication. Le jeu pris en lui-même pourrait donc être pris simplement pour un jeu. En revanche il est contextualisé par la personne qui le poste, avec une histoire s’inscrivant dans la réalité. L’idée mérite d’être creusée au moins pour son suspens et le décalage entre contenu et contexte. C’est un peu comme si on vous donnait à voir la VHS de Ringu, sans connaître sa raison d’être, puis qu’après coup quelqu’un vous expliquait ce que son visionnage implique. Il y a quelque chose à faire dans ce domaine.

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Dans un style qui touche plus à la réalité alternée, je me dois surtout de citer les deux excellents In Memoriam de feu Lexis Numérique ; Éric Viennot et son équipe ont vraiment été des pionniers dans la recherche d’idée de game design jouant avec le joueur. In Memoriam ne fait pas exception. Les deux titres se présentent comme des logiciels rassemblant des énigmes posées par un tueur en série. Ces logiciels sont donc fournis par une police criminelle à court de pistes qui en appelle à des joueurs pour aider à la résolution d’énigmes dans le but de sauver une victime du tueur. In Memoriam est plutôt jusqu’au-boutiste dans son game design qui intègre le téléphone portable et Internet dans l’équation. Avant la fermeture du service en ligne du jeu, le joueur pouvait en particulier recevoir des mails et des sms qui le tenait au courant de l’avancement de l’enquête ou de nouveaux indices pour certaines énigmes. Le jeu s’appuyait également sur des sites internets créés spécialement pour le jeu et qui s’intégraient aux recherches Google normale. On ne pourra malheureusement pas profiter entièrement de l’expérience aujourd’hui, mais il reste un bon jeu d’aventure dont l’univers est vraiment sordide. À ne pas mettre entre toutes les mains.

Alors que le genre est aujourd’hui exploité à outrance au cinéma pour l’économie de moyens qu’il représente en terme de production, comptant d’ailleurs tant de films que ses codes esthétiques inspirent certains développeurs de jeu vidéo, le « vrai » found footage interactif que l’on devrait plus justement nommer found game n’est finalement pas un objet vidéoludique si répandu. Cela est probablement du au caractère complexe à appréhender et à la difficulté de le rendre intéressant en poussant au maximum la démarche. Quelques titres, indépendants pour la plupart, tentent d’aller à mi-chemin dans l’exploitation du concept comme l’excellent Her Story. Mais j’aimerais réellement voir cette idée se développer plus, histoire de savoir si en jeu vidéo, c’est simplement une affaire de contexte ou également une affaire de game-design…

PS: Mon comparse Nemesis-8-Sin me signale à très juste titre que Beginner’s Guide entre vraiment bien dans cette idée de found game qui tente de brouiller la réalité et la fiction en ayant pour objet le jeu. Je conseille par ailleurs le jeu de Davey Wreden pour son propos sur le rapport entre artistes et critiques. Étrange, mais très intéressant.

1À ce sujet, je conseille très vivement les deux Grave Encounters qui sont un peu les archétypes du genre et de comment on construit un found-footage au cinéma. Les films en eux-même sont loin d’être des chefs-d’œuvre, par contre, ils sont des très rares allant jusqu’au bout de l’idée de found-footage, en s’intéressant non seulement à contextualiser le tournage des scènes mais aussi le montage et la distribution, en particulier avec le second volet qui démarre sur un youtubeur qui critique le premier film et qui va enquêter sur comment celui-ci a été réalisé.

2En réalité, au vu de la qualité de cette histoire, je vous déconseille d’y perdre votre temps. Il reste que l’association de cette histoire et du jeu son assez typique du genre.

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4 réponses à “Le found footage est-il un genre vidéoludique?

    • Peut-être connaissais-tu des films du genre sans le savoir (Blair Witch, Cloverfield, Paranormal Activity ou même Chronicles) sans en connaître le nom? Si c’est le cas, je suis ravi de t’avoir fait découvrir ça. C’est un genre un peu redondant parce que ça coûte pas cher et que les producteurs se ruent un peu dessus pour faire des trucs vite fait mal fait, mais il y a des très bonnes idées en terme d’histoire quand on cherche bien.

      • Oui je connais bien Paranormal Activity mais je t’avoue n’avoir jamais fait le paralèlle avec le found footage (maintenant que j’y pense le premier Rec offre est un beau modèle du genre). En tout cas, oui, tu m’as clairement appris quelque chose 😉

  1. Je ne connaissais pas le found footage avant de lire ton article. Effectivement, c’est un genre cinématographique, mais le fait d’introduire ce genre dans le monde vidéoludique me semble une bonne chose. Pourquoi pas ?

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